Crash de David Cronenberg (1996)
Au sulfureux roman de JG Ballard, seul Cronenberg pouvait donner des
images, de la chair à voir et à pétrir. Chair meurtrie, cicatrices
béantes comme autant d'orifices s'ouvrant, se dilatant. Chair à aimer,
dans des convulsions inédites que le réalisateur filme avec juste ce
qu'il faut de détachement. Chair brûlante de Deborah Kara Unger que
refroidissent aussitôt la lumière glaciale de Peter Suschitzky et la
musique presque désincarnée d'Howard Shore. Un authentique tue l'amour,
Cronenberg, surtout quand il parle de sexe.
Parcours d'un couple qui, dans sa quête de nouvelles sensations
amoureuses, se plie aux pratiques d'une communauté ralliée autour d'un
ferrailleur fétichiste des pièces détachées d'épaves automobiles, Crash
ne cause que de ça. Et de mort avec, car dans l'œuvre de Cronenberg, la
chair est périssable en même temps que l'âme. Nul autre de ses films ne
l'a mieux exprimé que Crash.
S'il abandonne la dimension apocalyptico-pornographique du livre, le
canadien n'en prend pas moins les mêmes sens interdits, n'en grille pas
moins les mêmes feux rouges, ramenant l'être humain à sa seule
enveloppe charnelle, à ses seules pulsions animales, à une recherche
sans fin du plaisir.
Pas forcément agréable à entendre, à voir ou à admettre. Y compris au
festival de Cannes où, en compétition officielle, le film se fait
siffler, injurier, conspuer. David Cronenberg n'en attendait pas moins,
le pire étant pour lui l'indifférence, le consensuel ou - cas extrême -
la vénération béate des foules. Il en est loin avec Crash.
Marc Toullec pour MadMovies