Leçon de cinéma - Quentin Tarantino
Comme il est désormais de tradition, le Festival de Cannes donne la parole à un acteur, à un réalisateur ou à un compositeur de musique à l’occasion d’une Leçon de Cinéma. Cette année, c'est Quentin Tarantino, lauréat de la Palme d’Or en 1994 pour Pulp Fiction, qui a exposé ses points de vue de cinéaste au public cannois. Aux côtés du journaliste Michel Ciment, il a ainsi évoqué sa carrière, sa passion et sa vision du cinéma. Morceaux choisis d’un cours magistral.
Sur sa période passée à travailler dans un vidéoclub :
"J’ai eu accès à de grands films, à de merveilleux réalisateurs et à
l’intégralité de leurs œuvres. Même aujourd’hui, je procède toujours de
la même manière. Lorsque je découvre un nouveau metteur en scène, je
fais en sorte de voir tout son travail. Je viens par exemple de finir
de visionner l'oeuvre de Paul Mazursky."
Sur les réalisateurs qui l'ont inspiré :
"Ceux qui m’ont influencé quand j’étais jeune et qui m’ont aidé à
forger mon propre style formel sont Brian De Palma, Sergio Leone,
Howard Hawks. Autant j’adore Martin Scorsese et, assurément mes films
lui doivent beaucoup, autant Brian De Palma était pour moi la rock star
des cinéastes de l’époque."
Sur ses six années à faire l’acteur :
"Personnellement, je recommande à quiconque veut se lancer dans la
réalisation ou l’écriture de scénarios, de participer à un cours de
comédie. Ca doit être votre première étape. Jouer les scènes et essayer
d’imaginer la position des acteurs dans l’espace. Si vous effectuez une
scène avec un autre élève, c’est votre responsabilité de livrer un
résultat abouti. Tout ce que j’ai appris sur l’écriture, je le tiens de
ces cours. Ils m’ont également enseigné les subtilités de la caméra.
J’ai commencé par étudier avec Richard Best qui m’a montré le langage,
la technique, comment se déplacer dans le cadre. J’ai réfléchi à
l’image et à ses limites… Par la suite, quand j’ai revu des films que
j’adorais comme Il était une fois dans l’Ouest, je pouvais
décrypter le message du réalisateur. Je pouvais voir par exemple
comment Leone jouait avec Bronson par rapport au cadre. Et lorsque vous
commencez à réfléchir de cette façon, vous n’êtes plus très loin d’être
capable de composer vos propres plans."
Sur l’atelier de travail au Festival de Sundance :
"J’ai été accepté grâce au scénario de Reservoir Dogs, mais
j’étais prêt à commencer le tournage avec l’accord de la production. Je
me suis finalement dit que c’était une bonne occasion pour expérimenter
quelques idées. J’ai essayé les longues prises. Le premier groupe de
réalisateurs a détesté, m’expliquant les raisons de leur rejet. Mais
j’aimais bien le résultat de cette longue séquence. Puis, un autre
groupe de réalisateurs confirmés, dont Terry Gilliam faisait partie,
l’ont décrétée excellente. Jamais dans ma vie, je n’avais été confronté
à un tel contraste d’opinions. Je me suis dit, en conclusion, que dans
une éventuelle carrière, j'allais soit être vraiment apprécié, soit
être vraiment détesté."
Sur la scène d’ouverture de Reservoir Dogs :
"J’ai toujours aimé les mouvements de caméra circulaires. De Palma
les utilisait pour sublimer l’amour… Le temps a passé, et maintenant de
nombreux réalisateurs viennent me dire qu’ils ne peuvent plus en jouer
sans évoquer Reservoir Dogs. Il n’y a pas beaucoup de plans qui
se transforment en fondu au noir pendant 10 secondes, parce qu'on filme
juste le dos de ses acteurs… A force de refaire la scène encore et
encore, la caméra est parfaitement synchrone avec le dialogue."
Sur les répétitions de Reservoir Dogs :
"J’ai obtenu deux semaines de répétitions pour Reservoir Dogs,
et ce fut la meilleure chose que je n’ai jamais faite. Le scénario
était très écrit, et nous disposions vraiment d’un tout petit budget.
Mais cette idée n’était pas partagée par la plupart des producteurs
indépendants. Je savais que nous gagnerions du temps ; ce n’était pas
leur avis. Ce qui s’est révélé essentiel à l’issue de ces répétitions,
c’est que nous sommes devenus les personnages. Pendant toute la période
de préproduction, j’avais peur de me faire virer. Après ces
répétitions, j’étais persuadé que ça ne pouvait plus être le cas, car
les autres acteurs voulaient poursuivre le film. Nous étions les Dogs !
Sur l’écriture de scénarios :
"Quand je me suis mis sérieusement à écrire, j’étais encore dans mes
cours de comédie. J’avais accès à des scénarios, mais j’ai toujours eu
une bonne mémoire pour les dialogues ou les scènes. Je couchais
absolument tout sur le papier et, quand j’avais un trou de mémoire, je
comblais. Peu à peu, à force de remplir les trous, j’ai commencé à
écrire des scènes."
Sur le mélange humour / tension dans Pulp Fiction :
"J’aime bien faire rire avec une situation qui n’est pas censée être
drôle. L’un de mes gimmicks consiste, dans ces longues séquences plutôt
légères, à insérer soudainement une tension dramatique. C’est comme un
court-métrage dans le long. Au fur et à mesure que l’on rajoute ces
petites tensions, elles finissent par exploser…"
Sur l’adaptation d’un roman pour Jackie Brown :
"On trouve rarement des scènes d’exposition dans mes films, mais
lorsque vous adaptez un roman, vous devez faire avancer l’intrigue.
C’est très difficile de rendre ces scènes naturelles. Elmore Leonard a
eu une grande influence sur moi et ma façon d’écrire. Il a instauré un
genre d’intrigue à lui tout seul : une histoire de chantage ou de
braquage classique dans laquelle il distille son talent, et ça déchire
tout !"
Sur la musique dans ses films :
"Je n’utilise pas en général de bande originale. Je ne fais pas
assez confiance aux compositeurs… La musique est trop importante à mon
sens. L’idée de payer un type, de lui montrer le film pour qu’il plaque
sa partition dessus… Je ne confierai jamais ce genre de responsabilité
à quiconque. Je possède l’une des plus grandes collections de
soundtracks… C’est comme ça que j’écris, que je conçois mes scénarios :
je me balade dans ma collection, j’écoute des morceaux et je commence à
visualiser des séquences. J’élude les compositeurs ! Je travaille avec
les meilleurs (Ennio Morricone, Lalo Schifrin, John Berry…) mais je ne
négocie pas avec eux."
Sur sa collaboration avec Uma Thurman sur Kill Bill :
"Je me suis dis que je devais la créditer au générique, bien qu’elle
n’ait rien écrit avec moi. En revanche, on a partagé pendant une année
et demi l’évolution du scénario. Je lui ai lu tellement de scènes, que
quelque part elle était devenue ma collaboratrice privilégiée. La robe
de mariée, le nom de Beatrix... Je laissais des blancs qu’elle
remplissait avec pertinence. Kill Bill est le résultat de notre émulation."